Stéphane Servant

Portrait

J’ai dix ans.
J’ai dix ans et j’habite sous un livre.
Les livres sont des terriers.
Les livres sont des phares.
Il y brûle de petits feux
Qui me tiennent le cœur au chaud
Quand il pleut sous mon toit.
De La rue Mouffetard à la chocolaterie de Mr Wonka,
Dans chaque livre je trouve une fenêtre.
Et au-delà des mots des horizons
Sur lesquels souvent
Mes yeux se perdent
Dans la cour de récré.

Phare de Ploemeur – 2012 / Photo DR

J’ai quinze ans.
Je passe mes nuits
Entre les cafés de Buenos Aires et les dédales du Château
Je navigue
Des plages de Venice jusqu’aux bibliothèques d’Arkham.
Je cherche d’autres fenêtres
Des horizons moins rectilignes.
Des maisons sans murs.
Des vies sans murailles.
Alors je noircis
Je noircis sans cesse
Mes stylos crissent
Pour ouvrir des brèches
Dans les jours qui
Ne m’ont jamais semblé aussi lointains.

Photo AS
J’ai trente ans.
J’ai fait un peu de tout
Et aussi n’importe quoi.
J’ai usé
Des stylos.
Des pinceaux.
Des ciseaux.
Des balles.
Des comptoirs.
Des claviers.
Des chaussures.
Des milliers de pages.
Des cœurs, aussi.
J’ai taillé
Ma route.
Dans les écoles.
Dans les quartiers.
Dans les rues.
Dans les MJC.
J’ai traîné ici et là-bas.
Et partout où j’ai été
dans mon corps d’adulte
la pierre vive de l’enfance
Ne m’a jamais abandonné.
« L’enfance est la clé
du monde de demain »
Comme une évidence.
Alors un matin,
un jour de rentrée des classes,
Tremblant comme un môme,
je glisse
mes mots
dans une enveloppe.
Et j’apprends la patience…

Friche de Paulilles – Port Vendres 2008 / Photo AS
J’ai – peut-être – demain quarante ans.
Et l’écriture est un chemin.
Un chemin de montagne.
Étroit et escarpé.
Qui demande du cœur, de l’exigence et de la sincérité
d’autant plus quand il penche du côté de l’enfance.
Parfois, je croise quelqu’un. On fait un bout de chemin ensemble.
Main dans la main, les pierres du chemin semblent alors moins dures.
Seul, souvent
Je cours, je saute, je trébuche, je tombe, je me relève.
Mais toujours, pas à pas j’avance.
Vers où ? Va savoir.
On s’en fout, on y va !

Autriche – 2010 / Photo DR
Ici, il n’a pas de sommet.
Il n’y a que le chemin, qui s’étire comme un chat.
Et là-bas, peut-être, tout au bout, tout près,
le lecteur,
celui qui fera de mes livres
un terrier ou un phare.
Celui qui trouvera
entre mes mots
un petit feu
Pour se tenir le cœur un peu au chaud
Blotti sous son toit d’enfance.

Photo AS
Merci à Alice Sidoli, amie et photographe, pour les illustrations de ce portrait.
 

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« Sur le chemin »

Un jour, sur le chemin de l’album « Cœur d’Alice », j’ai croisé une femme.

Dans son sac, il y avait des papiers, des pinceaux et des ciseaux.

Entre ses mains, un univers tout entier.

Ses mains, c’était sa façon bien à elle de parler.

Alors elle a posé sa langue sur mes mots.

Et les mots ont chanté autrement dans leur cage de papier.

Comme si, avec ses mains, elle avait ouvert une fenêtre rien que pour eux.

Les images leur avaient donné des ailes.

Les mots se sont envolés.

Un album était né.

Cette femme, c’est Cécile Gambini.

> Lire le portrait de Cécile Gambini.