29/09/2020

La Charte appelle à des élections professionnelles

Lancé par le ministère de la Culture dans la foulée de la publication du Rapport Racine, le cycle de concertations sur la représentativité des organisations d’artistes-auteur·rices a démarré jeudi 24 septembre. La Charte répond présent, avec la volonté d’accompagner la mise en place d’élections professionnelles à court terme. Cette première étape est fondamentale pour la reconnaissance de la profession. Elle permettra la construction d’un dialogue social équilibré permettant aux créateur·rices d’être enfin partie prenante de décisions qui ont un impact concret sur leur quotidien.

À la suite de la tenue des deux premières réunions, une clarification de la méthodologie de travail apparaît nécessaire, afin de pouvoir avancer efficacement. La Charte en appelle à un recentrage des échanges sur la question de la représentativité, et à la confrontation de positions étayées sur ce sujet. En effet, nous attendons des travaux très concrets pour avancer : depuis 2018, nous avons participé bénévolement à un nombre important de réunions pour détailler les problèmes de la profession. Des organisations professionnelles ont fourni des contributions extrêmement poussées et argumentées sur le plan du droit qui méritent d’être étudiées et arbitrées.

La représentativité, pourquoi ?

Ce cycle de concertation, organisé par le ministère de la Culture a été lancé dans la foulée de la publication, en début d’année, d’un rapport intitulé « L’auteur et l’acte de création », plus connu sous le nom de « Rapport Racine ». Ce document, issu d’un travail de plusieurs mois, met en évidence la longue dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteur·rices et ses nombreux facteurs aggravants (complexité administrative, réformes mal pensées, difficultés d’accès aux droits sociaux, etc.). En cause, un statut mal défini et un dialogue social peu structuré ne leur permettant pas de défendre collectivement leurs intérêts. Le rapport préconise ainsi l’organisation rapide d’élections professionnelles afin d’identifier clairement un corps professionnel, et de doter les artistes-auteur·rices d’organisations représentatives, démocratiquement élues.

Ces organisations désignées par les artistes-auteur·rices seraient dotées d’un financement et d’une vraie légitimité. Débarrassées de la contrainte d’avoir à chercher sans cesse des subventions pour assurer leur fonctionnement, et mises à l’abri de toute pression extérieure, elles seraient partie prenante des décisions qui concernent leurs professions (le pilotage de notre système social, par exemple). Elles leur permettraient également de bénéficier d’une meilleure assise pour peser face aux diffuseurs de leurs œuvres, et de négocier des conditions plus avantageuses dans le cadre d’accords collectifs comme cela se fait depuis longtemps dans une grande majorité des secteurs professionnels.

Cycle de concertation, mode d’emploi

Ce cycle se décline en une série de réunions thématiques, portant sur des secteurs culturels différents (audiovisuel, musique, écrits, etc.). Elles mettent en présence les représentant·es d’organisations de formes, d’objets et de statuts divers, identifiées par les pouvoirs publics comme interlocutrices sur les questions touchant aux droits et au statut des auteurs (associations, syndicats, organismes de gestion collective, etc.). Ces rencontres doivent se succéder jusqu’en décembre prochain.

La Charte, représentée par la juriste Ophélie Latil qui a rejoint ses rangs début septembre, participera à deux rencontres touchant à la « branche des arts graphiques et plastiques », et à deux autres concernant la « branche des écrivains » pour porter la voix des illustrateur·rices et la voix des écrivain·es. En outre, elle prendra également part à deux réunions « Groupe transversal » qui doivent réunir les représentant·es de l’ensemble des secteurs.

La réunion inaugurale, tenue le 24 septembre, concernait la branche des écrivain·es.

Quels débats ?

Si certaines organisations, comme la Charte, se prononcent clairement pour la mise en place d’élections professionnelles, cette position n’est pas unanimement partagée.
C’est compréhensible. Une vision romantique des auteur·rices comme n’étant pas de véritables professionnel·elles anime hélas encore les débats. De plus, la désignation de leurs représentant·es par les artistes-auteur·es rebattra les cartes, réinterrogeant et recadrant la place de chacun dans l’écosystème.
Se pose en effet la question de savoir quelles seront les organisations éligibles. Un dialogue social structuré dans les règles définies par le droit implique que les artistes-auteur·rices devront être défendus par des syndicats. Cela occasionne des inquiétudes, certaines organisations craignant d’en être exclues.

Qu’est-ce qu’un syndicat ?

Une organisation syndicale ou professionnelle ne se définit donc pas par sa forme juridique, mais par son objet : la défense exclusive des intérêts d’une profession. Peu importe qu’elle prenne la forme d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou par la loi du 21 mars 1884. C’est l’objet de l’activité de l’entité qui permet la qualification d’organisation syndicale ou professionnelle et de la distinguer d’autres groupements. Ces organisations ne défendent pas uniquement leurs adhérent·es, mais tous les professionnel·elles visé·es par leurs statuts, qu’ils et elles soient adhérent·es ou non.

Au centre des discussions, également, l’identification du corps professionnel : qui, parmi les artistes-auteur·rices aura le droit de voter aux élections, et selon quels critères ? Il faut savoir que les élections professionnelles ne sont pas une nouveauté : elles existaient jusqu’à leur suspension en 2014. En revanche, étaient élues des personnes siégeant en leur nom propre et non pas des organisations professionnelles. L’ancien critère pour participer aux élections était le seuil d’affiliation au régime de sécurité sociale (900 Smic horaire par an, soit un peu plus de 9000 €). Le rapport Racine pointait l’insuffisance du revenu comme seul critère pour définir la professionnalité d’un·e artiste-auteur·rice. Nous plaidons depuis 2019 pour des critères de professionnalité multiples et plus inclusifs. Pour ce faire, nous avons besoin que l’État nous fournisse des données et mette en place les outils nécessaires. En attendant, nous avons formulé des propositions pratiques avec d’autres organisations professionnelles.

Une méthodologie à affiner

Nous respectons les points de vue de chacun, qu’ils soient ou non en accord avec le nôtre. Néanmoins, nous sommes surpris que les échanges se concentrent sur des procès d’intention à l’égard des seules organisations professionnelles qui ont aujourd’hui apporté des contributions écrites et étayées sur la question. La Charte appelle le ministère de la Culture à exprimer sans équivoque l’objectif de ces concertations, dont les ordres du jour et les dates n’ont eu de cesse d’être modifiés. À 8 mois de la sortie du rapport Racine, elle attend aussi une position très claire du ministère sur ses intentions de mettre ou non en œuvre les élections professionnelles, et selon quel calendrier.

Par ailleurs, aborder la question de la représentativité par groupes sectoriels ne nous apparaît pas adapté dans le mesure où tous les artistes-auteurs, qu’ils soient écrivain.es, plasticien.es, scénaristes ou compositeur.ices appartiennent au même régime social. Sans évidemment nier nos spécificités et la diversité de nos métiers, nous sommes confrontés sur ce point à des problématiques communes.

Nous demandons également à ce que le ministère du Travail, compétent sur les questions de dialogue social, soit invité aux différentes réunions. Il s’agit bien aujourd’hui de remettre du droit là où nous déplorons l’absence d’encadrement légal.

Enfin, nous interrogeons la présence du Syndicat national de l’édition à l’occasion de la première rencontre. Acteur de première importance dans l’écosystème du livre, celui-ci n’a néanmoins pas vocation à intervenir dans des négociations qui concernent les artistes-auteurs.

Le collectif est au cœur du projet de la Charte depuis sa création, il y a 45 ans. C’est grâce à l’union et à la mobilisation de tous et toutes, adhérent·es, administrateur·rices, salariées, que des combats ont pu être gagnés, au premier rang desquels l’institution des « tarifs Charte » qui font aujourd’hui référence. Mais si les tarifs Charte sont des recommandations très suivies, nous luttons bénévolement au quotidien pour la préservation de ces derniers. En l’absence de consécration de rémunérations minimums à travers des accords-cadres contraignant légalement, ces acquis sociaux sont fragiles. D’où l’importance d’une évolution majeure de notre régime et de l’encadrement de nos conditions de création.
De par notre ADN, nous sommes convaincus qu’une vraie représentativité établie par voie démocratique permettra d’améliorer la vie et les conditions de travail des artistes-auteur·rices. Il s’agit de donner collectivement à celles et ceux qui sont à la base de la chaîne de valeur de toute une industrie les moyens d’être enfin entendu·es et pris·es en compte. C’est une question de justice.

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