Séverine Vidal

Portrait

Ça me revient.

Je dois faire mon portrait pour la Charte. J’avais promis de le faire pour décembre, puis pour février. J’ai dit à Isabelle qui me relançait (à juste titre !) qu’il me restait à le fignoler et que je m’engageais à le lui envoyer pour mars, dernier délai. Promis. Que sinon, elle pouvait brûler ma carte de membre, me rayer de la liste des auteurs jeunesse.
Voilà.
On est le 5 avril. Et Isabelle attend toujours.
Quand je lui ai dit que j’avais quasiment terminé mon texte-portrait, mon brouillon de selfie chartiste, c’était un demi-mensonge. Il était en fait complètement fini ce portrait, brouillonné, tapé, relu, corrigé, imprimé.
Et raté.
Alors j’ai (un peu) menti.
C’est pas facile de parler de soi. Dingue comme on peut chercher (sans la trouver) une façon de se raconter.
Parce qu’on trouve que le sujet est tellement fascinant que les mots pour en parler doivent être à la hauteur ? Mouais.
Non.
Parce qu’on n’a pas l’habitude d’écrire sur soi, sauf en se planquant derrière d’autres vies que les nôtres, derrière nos potes de papier, nos personnages.
Oui, plutôt ça, réponse B.

Alors me voilà dans le train qui me ramène chez moi, après un très dense mois de mars pendant lequel, comme pas mal de mes camarades auteurs, j’ai sillonné la France (et puis la Suisse) avec mes valises, mes livres, mes envies (parfois) d’être plutôt chez moi.
Elancourt/Bois d’Arcy/Chatou/Montpellier/Genève, Lausanne et le Valais/Bordeaux/Rennes, Pacé. Des rencontres que j’adore, en fait. A la seconde où j’arrive dans la classe, que je me retrouve devant les lecteurs, je savoure ma chance, j’oublie la fatigue, les heures de trajet et je fonce, je raconte, trop bavarde, je m’amuse.
Je rentre, donc.
Et je profite de ce temps-là, celui juste avant le retour, le saut dans le petit bain des vacances (j’ai compté, 17 jours sans voyage, 17 jours à profiter de mes arbres, mes oiseaux, mes biches, mes laitues et mes patates qui poussent, mon mari, mes enfants et Elvis le chien tout neuf), je profite de ce temps-là pour écrire ce portrait.
Je décide qu’à mon arrivée en gare de Libourne, il sera fini.

Et vous comme moi, on devra se contenter de ça.
Dans ma vie, j’ai beaucoup écrit.
J’ai écrit des poèmes à la naissance de mon petit frère, j’avais six ans : je dictais, mon père rédigeait, et tout le monde trouvait le résultat si émouvant.
J’ai écrit, plus tard, d’autres poèmes, sans ponctuation ceux-là, sans thème, sans queue, ni tête. Un jour, quelqu’un m’a dit que ce serait une bonne idée de les offrir directement avec un Doliprane. Pour gagner du temps.
J’ai écrit des chansons pour le groupe de rock que j’avais monté à dix ans et demi, avec mes cousines. Guitares fabriquées dans le carton des courses, avec des cordes peintes à la gouache.
Ça me revient. Une reprise de Chacun fait ce qui lui plaît, du groupe Chagrin d’amour, qui donnait ça :

« Cinq heures du mat, j’ai des poils aux pattes, j’ai des frissons, je baisse mon caleçon/Chacun fait fait fait quand ça lui plaît, plaît, plaît… »

Concert devant mamy – été 80

Des débuts dans l’écriture qui se situent donc entre des berceuses pour bébés, une chanson un peu scato et de la poésie qui donne mal au crâne.
J’ai donc fait autre chose, longtemps.
Des études de droit (beurk) puis de lettres (miam), du pionnicat (8 ans pendant mes études), trois bébés, des remplacements de prof de français, un passage comme libraire à la Fnac (au rayon vie pratique) puis douze ans d’enseignement dans deux écoles merveilleuses. La littérature jeunesse est entrée dans ma vie grâce à mon fils aîné, à qui j’ai lu Solotareff, Olivier Douzou (Jojo la mache !) et quelques Tchoupi j’avoue, grâce à mes deux filles un peu plus tard, autour de Pennac, Nathalie Novi, Thierry Lenain, Olivier Tallec, Jean-Hugues Malineau, Marie Desplechin, Zaü… J’ai commencé à écrire avec mes élèves, puis pour eux : on inventait des personnages qu’on aimait faire vivre en classe, à qui on donnait des noms et qui les accompagnaient dans les apprentissages. Qui les aidaient en maths, qui dédramatisaient les évaluations, qui débloquaient des conflits. J’ai donc écrit sur des bouts de table, en salle des maîtres pendant la récré. Chez moi, tard le soir, après avoir monté des projets pour ma classe (des projets danse, théâtre, écriture de haïku, défis lecture et poésie).
J’ai écrit la nuit et pendant les vacances.
Et un jour, j’ai fini un roman.
Je l’ai posté.
J’ai rongé mes ongles.
Deux « oui », trois semaines après, ont calmé l’angoisse.
Le premier est arrivé par téléphone. Laurence Faron des éditions Talents Hauts me disait tout le bien qu’elle avait pensé de mon texte qui ne correspondait pas à leur ligne éditoriale mais dont elle aimait l’écriture. Si je pouvais lui envoyer autre chose, elle le lirait avec plaisir. Philo mène la danse est né juste après, inspiré par un de mes élèves. Le livre est sorti en mars 2010 et rien n’a plus jamais été pareil après.

Le deuxième « oui » a déboulé par la Poste, un mot écrit à la main par Sylvie Gracia des éditions du Rouergue et qui disait cela… « Vous avez eu raison de nous envoyer ces deux textes qui sont dans l’esprit du Rouergue. »

Et la vie, donc, n’a plus jamais été la même après.

Ça me revient, aussi, le premier carton de livres reçu chez moi, le carton déchiré, pas la patience d’aller chercher un couteau pour faire ça bien. Le livre qu’on attrape, qu’on ouvre, qu’on renifle (ah, cette odeur !), les lignes qu’on parcourt pour dénicher la faute, la coquille. Depuis, c’est resté, j’arrache, j’ouvre, je tremble, je renifle. Même après ces sept ans, cette presque centaine de bouquins, l’émotion est intacte.

En 2011, j’ai démissionné de l’éducation nationale. Entre temps, j’avais publié plusieurs romans, une bande dessinée et quelques albums.
J’ai donc écrit le jour, aux heures que je voulais, quand les mots venaient, j’ai pu accepter les invitations des écoles, des médiathèques et des salons.
J’ai découvert la vie des auteurs jeunesse, les départs en train, petit matin crevé, l’ordi qu’on ouvre en pensant écrire en voyage, puis non, les arrivées tardives dans les hôtels, les rires, les liens qui se créent dès le vendredi soir, les verres partagés, la colo à quarante ans, les amitiés qui naissent. Qui naissent tellement que d’amies, elles deviennent sœurs, parfois sœurs d’écriture. Ceux à qui on dit qu’on se reverra, c’est sûr, et qu’on ne revoit jamais, ou des années plus tard sur un autre salon. J’ai découvert les classes qui t’accueillent comme une reine, les bras chargés de dessins, de surprises, les mille questions, les pièces de théâtre tirées de tes livres, les petits mots qui embellissent ta journée, qui donnent du sens à tout ça. Comment t’as fait pour écrire mon histoire alors qu’on se connaît même pas, « SéverineVidal » ?
J’ai découvert quelques classes qui n’avaient même pas lu un de mes livres et ça m’a découragée. Pas longtemps. J’ai découvert le bonheur de faire écrire les autres. De se nourrir de ça.

 

Travaux de collégiens – Rencontres scolaires 2017 (Montpellier).

J’écris.
Avec d’autres auteurs, à deux, à trois, à sept, à dix, à seize !

Les idées viennent et se perdent parfois. Alors pour ne pas les oublier pour de bon, j’écris (mal et entre deux listes de courses) dans des carnets que je garde au fond de mon sac, ceux que les enfants aiment tellement regarder lors des rencontres. Puis je me rue sur mon ordinateur avec les idées des carnets, j’écris ce qui me chante, toujours en musique (une chanson choisie que j’écoute en boucle pendant toute l’écriture d’un roman), et si possible pas loin de ma forêt.

La foule des petits carnets.

Mon bureau perché.

Vue de la fenêtre du bureau : l’autre bureau m’attend, celui sous la glycine.

Les livres des autres comme compagnons d’écriture/vue depuis mon bureau.

Ecrire avec les images des autres comme compagnes de travail – Ici, celles de Marc Majewski (l’homme en bleu), Martin Jarrie (l’homme-maison), Anaïs Massini (l’oiseau).

Des commandes arrivent, parfois, et de belles aventures naissent de ce travail-là. C’est oulipien, ça : la contrainte qui libère. Et ça tombe bien, Perec est toujours dans un coin de ma tête quand j’écris.

Mes petits derniers ! Je veux un grand frère, J’ai vu un lion, Sur mon fil, (Milan). Un pas puis mille (La Pastèque), Nos cœurs tordus (Bayard, avec Manu Causse), Gustave et Céleste (La Palissade, avec Anne-Gaëlle Balpe).

Gare d’Angoulême.
Ça me rappelle que l’année prochaine sortira mon roman graphique pour adultes, 23 rue des vagues. Les projets peuvent traîner : le scénario date d’il y a trois ans. Celui-ci a failli ne pas aboutir et finalement, oui, le livre existera. C’est ça, aussi, la vie d’écrivain : des doutes, des moments de découragement infini, d’attente. Ou quand l’inspiration, cette copine pas toujours fiable, n’est pas au rendez-vous.
Dans ces cas-là, j’ai des éditeurs sur qui compter, qui écoutent et rassurent. Tous ne savent pas faire ça, être disponibles, conseiller, en rire. Mais certains sont vraiment là, et eux, je les remercie.
L’éditeur qui envoie des SMS en pleine lecture de mon manuscrit pour me dire à quel point… il l’aime.
L’éditrice qui nous dit, à mon co-auteur et moi, comme elle est fière de porter de projet-là, avec nous.
Les éditeurs qui font deux heures de route pour venir me déposer mon roman tout frais, chez moi. Et qui restent manger.
Sur ce chemin d’écriture, j’ai rencontré des gens merveilleux, avec qui rire tellement et partager et boire et parler. Ceux, celles à qui je fais relire ce que j’écris avant même l’envoi à l’éditeur. Les copines de l’atelier virtuel (tiens, ça fait longtemps, faudra reprendre le rituel !), l’ami du jeudi, avec qui on a décidé de s’envoyer un mail chaque semaine, pour raconter ce qu’on veut.

On approche de l’heure d’arrivée.
16 minutes et je serai à Libourne.
Jérôme sera au bout du quai, et en voiture on fera la route jusqu’à la maison de la forêt, des biches, des oiseaux, la maison des Collines. La maison où mes enfants (grands enfants !) m’attendent.

Le bureau sous la glycine

Je rentre chez moi, en Gironde. On habite ici depuis quelques mois seulement.
On a changé de vie, après 46 ans et demi passés en banlieue parisienne. Un rêve de campagne… Jérôme n’est plus webmaster : il va faire sa bière (bio), il est un peu bûcheron aussi maintenant. Agriculteur (en permaculture). Il invente parfois pour moi des histoires géniales que je n’ai plus qu’à écrire.
Mes enfants lisent mes textes, et leurs retours me sont essentiels, « ta blague page 133 n’est pas drôle. », « l’expression que Vlad utilise page 45, on ne la dit plus depuis mai 2008 ».
Merci mes petits roudoudoux des îles, mes chatons farcis, mes cancrelats rampants, je vous aime pour ça. Pour ça aussi.

On arrive : le monsieur de la SNCF vient de le dire. Libourne. Bientôt.

Ça va se terminer ainsi.
C’est décousu, en vrac, brouillon. Tant pis. C’est un texte écrit dans le train, après des journées et des journées de rencontres scolaires à ne parler que de moi, je n’avais pas très envie d’écrire ce portrait. Overdose de moi.
Combien t’as écrit de livres ? Comment elles te viennent tes idées ? C’est toi qui trouves tes illustrateurs ? Ca prend combien de temps d’écrire un livre ? C’est dur ? C’est lequel ton livre préféré ? T’écriras un roman sur nous ?

Enfin, puisque c’est un portrait pour la Charte, je te remercie chère Charte ! Tu m’as appris à relire un contrat pour ne pas me faire bouffer toute crue (ça m’arrive encore de faire des erreurs), à être vigilante, à défendre nos droits. Je paye toujours ma cotisation en retard, et tu ne te fâches même pas. T’es bonne avec moi, la Charte.

Edit : je viens de lire sur Instagram un post d’une documentaliste qui recevait Thomas Scotto dans son collège ce matin. Elle le citait. Il a dit aux élèves cette phrase que je lui vole, (tu ne m’en veux pas ?) car elle est jolie et qu’elle résume tout, (tout notre métier en une phrase, il est fort, Thomas !) :

« Merci d’avoir lu ce bout de papier qui sert à rien sinon »

A bientôt, ici ou ailleurs, dans mes livres ou dans les vôtres, en rencontres, en salon, dans le train ou chez moi (si vous venez, on est tout au bout du sentier, il y a une pancarte « Les Collines » : on vous attend !).

 
Son blog

Séverine Vidal, avril 2017, pour la Charte.