Martin Page


J’ai commencé par écrire des romans « adulte », avant d’aller vers la littérature jeunesse.
Mais de toute façon, la littérature jeunesse est aussi pour les adultes. Je n’ai jamais arrêté de lire des livres soi-disant pour enfants. En écrire était assez logique. C’est un espace où on peut expérimenter et dire des choses inédites. Impossible pour moi de penser séparément littérature jeunesse et adulte. Elles sont liées, se répondent et se complètent.

Ma pratique artistique me pousse à de nouvelles expériences. J’aime faire des choses différentes. J’écris des articles pour la presse, des textes critiques, j’ai un blog aussi, je toune de petits films, j’écris de la poésie et des chansons. J’ai fait une bd adulte, avec un ami dessinateur, et j’écris des romans de genre sous le pseudonyme ouvert de Pit Agarmen (anagramme de mon nom). Je joue (mal) de la guitare folk, ma copine (qui écrit aussi) et moi avons un groupe et pas mal de projets ensemble. Je dessine, pas bien, mais j’aime ça. De temps en temps je fais des homemade books en français et en anglais que j’imprime et que je publie aussi en numérique.


En ce moment j’écris des monologues pour la radio (ce n’est pas encore en ligne). Une part de mon activité d’écrivain consiste à écrire des emails et des lettres, à parler au téléphone et par skype avec des amis. Nous discutons du métier, de nos angoisses et des moyens à inventer pour les contrer ou récupérer leur force. C’est un genre de club des inadaptés dispersé. Nous nous serrons les coudes.

Je vis dans une ville calme. Il y de bons cinés, de bonnes librairies, de bonnes pâtisseries, c’est donc parfait. Les journées passent vite, mais j’ai une grande chance : je ne suis pas sociable. Je n’arrive pas à être à l’aise avec les autres. Donc j’ai beaucoup de temps pour écrire et créer, pour lire et regarder des films.

Avec quelques dessinateurs et auteurs, nous avons monté un atelier collectif. Je m’y rends quelquefois dans la semaine. Une atmosphère de concentration et de décontraction y règne. C’est aussi la possibilité de pouvoir parler travail avec d’autres artistes.


Sinon je travaille chez moi ou dans les cafés. Dans le train bien sûr aussi. Ma journée est assez cadrée, je mets le réveil le matin assez tôt et c’est parti. J’écris tous les jours. Le concept de vacances n’a pas de sens pour moi. C’est même angoissant. Dans mon dictionnaire intime c’est un synonyme de « mort ». Je déteste les fêtes et les réunions de plus de quatre personnes. Les balades sont une torture, le tourisme un châtiment. Je suis bien chez moi, dans un café ou dans un jardin pour lire, écrire, dessiner, jouer de guitare, discuter.


J’ai un chat. J’ai aussi pas mal d’angoisses. J’ai donc beaucoup d’animaux domestiques. Une partie de ma journée leur est consacrée. Ça prend du temps et de l’énergie, heureusement on apprend à s’en défendre, un peu. La confrontation avec mes angoisses, notre vie commune, produit aussi de beaux effets : je travaille à transformer l’énergie négative en créativité. L’art est la chose la plus importante pour moi. C’est une force de survie et de transformation. C’est une grande source de plaisir aussi. Notre pays a encore trop à coeur de célébrer le dolorisme, l’ennui et l’esprit de sérieux.
Ma journée est constellée de lectures (le soir de films et de séries, puis je lis avant de m’endormir). Je lis tout ce qui me tombe sous la main. Mes amis (et mon amie) sont de bons prescripteurs.
Je bois beaucoup aussi, rien d’alcoolisé, mais un thé et un café par jour, et le reste du temps toutes sortes d’infusions aux propriétés mystérieuses.

 

Mes drogues intermittentes

Comme pas mal d’écrivains, je suis confronté à des difficultés pour faire publier des livres un peu hors normes. Les éditeurs sont plus à la pointe concernant les dessins que le texte. Faire publier des livres reste un combat, mais j’ai de la chance : quelques intrépides et bienveillants éditeurs me suivent. J’aime le travail avec eux, je regrette qu’il n’y ait pas davantage d’interlocuteurs exigeants et qui ont la capacité de discuter d’un texte. Les écrivains et illustrateurs jeunesse pensent leur métier, et ils le pensent volontiers en collectif. Ça me plaît bien. Soyons clairs : l’histoire de la littérature c’est aussi l’histoire des luttes des auteurs pour survivre et gagner des droits. C’est une lutte pour plus d’autonomie. Il y a pas mal d’auteurs jeunesse qui vivent de leur art (et des ateliers et des rencontres). C’est une belle noblesse que notre passion, que notre travail, soit relié à quelque chose de très concert : remplir notre frigo, payer notre loyer. À mon avis, ce côté professionnel n’est pas pour rien dans l’éclosion des oeuvres importantes qui sortent régulièrement : créer demande du temps. Artiste n’est pas un hobby. Beaucoup des livres les plus inventifs et géniaux que je lis ces temps-ci sont des livres pour enfants et adolescents. C’est une belle période.
Le milieu de la littérature jeunesse est bien plus doux et bienveillant que celui de la littérature adulte. Il faudrait nuancer : il y a bien sûr des affects violents et des passions tristes. C’est peut-être plus subtil.

 

Mes livres jeunesse

Il n’y a pas de pureté, on est forcément engagé dans un combat, on est de parti pris. J’ai besoin d’une littérature féministe et combative qui remet en cause les conventions. J’ai besoin d’une littérature qui porte la conviction que l’imagination est une force intime et politique. C’est ce que j’essaye de faire. Ça ne veut surtout pas dire être moralisateur et caricatural. Ça veut dire : notre boulot consiste aussi à penser les représentations, à les travailler, à jouer avec, et à les faire évoluer. Soyons complexes et déraisonnables. Et faisons de chaque livre une source de plaisir, de joie, de consolation, de connaissance, de trouble et de questionnement.

Je ne suis pas ambitieux pour moi-même, mais j’ai les plus folles ambitions pour mon art, qu’il s’adresse aux enfants, aux adolescents ou aux adultes.

Martin Page, le 28 février 2014, pour la Charte

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