Portrait

Erik Poulet-Reney

L’écriture m’a adopté vers l’âge de 15 ans.

Elle s’est imposée naturellement à moi d’emblée comme un sixième sens. Elle fut mon alliée pour combler une grande solitude, l’absence d’amis. Ma différence d’esprit et de sensibilité m’inscrivait déjà dans la marge. Très tôt, j’ai subi ce que l’on nomme aujourd’hui le harcèlement scolaire, à une époque où personne n’y prêtait attention, (poches déchirées, crachats au visage, insultes permanentes et menaces. Je guettais la pendule avec l’angoisse des sorties de classe, la peur des petits caïds, école-collège-lycée.) Mais je n’ai jamais réussi à écrire sur le harcèlement. Tant d’autres l’ont déjà fait et tant mieux.

 

« J’étais cet enfant aux oreilles en feuilles de chou et aux yeux de faon »

J’ai su alors que l’écriture serait mon bâton de pèlerin, surtout un outil précieux de référence pour (la), (les) différences à pointer au stylo, pour partager avec celles et ceux, laissés pour compte sur la berge, qui pourraient se retrouver dans mes textes, se sentir ensuite, peut-être moins seuls, et s’accepter davantage. La littérature jeunesse, celle pour les ados, me permet cette passerelle entre mon adolescence blessée et celle des collégiens et lycéens d’aujourd’hui, en quête d’identité, de leur droit, parfois, à la différence, à vivre au quotidien. Quand je choisis un de ces thèmes marginaux ou entendus comme tels, j’écris d’abord pour accompagner à ma manière ces jeunes vers l’espérance et aussi pour tenter d’abattre des portes encore blindées.

Par exemple, quand Françoise Mateu†  avait publié les « Roses de cendre » (Syros), et Oskar, « Transparente », j’avais choisi de mettre en scène des personnages LGBT, tout en les  mêlant au quotidien d’une ville de province, afin que leur différence n’en soit plus une ! Arriver à banaliser l’identité pour approcher l’universalité et le droit de respirer, qui que l’on soit, où que l’on soit, est encore une prouesse. Et si par un heureux hasard, ne serait-ce qu’une seule fois, dans une famille, ces histoires pouvaient « libérer la parole », et que par la magie de la littérature on arrivait à déverrouiller les principes, désamorcer un conflit ou refouler une incompréhension, aider à apprivoiser la tolérance, il n’est jamais trop tard, alors je saurais pourquoi j’écris !

Mon univers, ma bulle

Auteur moins prolixe que la plupart, je suis davantage un observateur, j’engrange l’air de rien, je demeure un rêveur invétéré depuis l’enfance, et j’ai souvent dû imposer ce «  handicap » dans ma vie d’adulte partout où j’ai marché, respiré, aimé, travaillé.

Je suis entré dans la fameuse vie active à 19 ans pour mettre en scène au cœur d’une société compliquée, ce que je suis encore, un homme-enfant irrécupérable ! J’ai été entre autres, fleuriste, libraire, et même figurant à une époque, dans une série télé pour ados chez AB Productions, puis chargé de communication dans un musée d’art et d’histoire, mais surtout bibliothécaire jusqu’à aujourd’hui ! Puisque depuis peu, libéré de la Fonction Publique, je ne fais plus qu’écrire… faire de la photo et de la radio.

Dès 1984, j’ai eu le privilège d’avoir sur mon chemin Andrée Chedid, qui fut pour moi une adorable marraine d’écriture, et surtout une amie fidèle jusqu’à sa disparition en 2011.

Mais c’est en 1999, Thierry Magnier que l’on ne présente plus aujourd’hui, m’a offert la chance, à la création de sa maison d’Édition, en publiant mon premier roman « Jusqu’au Tibet », puis un second « Comme un gitan ». Les Editions Syros, L’École des Loisirs, La Renarde Rouge, Magnard, Nathan, Seuil, Oskar, Rhubarbe… m’ont à leur tour ouvert leurs portes, quand d’autres continuent encore, avec le temps, à me les maintenir fermées.

Ma maison comme une péniche amarrée.

 

Comme la plupart de mes ami(es) auteur(es), je suis intimement lié à mon univers pour écrire. Mon bureau à l’étage de notre longère bourguignonne, à quelques mètres d’un incroyable fort du XIIIème s. (qui m’évoque les contes pour enfants), est comme la hune d’un bateau amarré à  proximité des coteaux du village. Autour de moi un rempart de livres entassés dans ma bibliothèque, des calligraphies de Carolyn Carlson que j’affectionne particulièrement, grâce à son travail de danseuse, à l’amitié et à la poésie qui nous rapprochent, et des tas de petits objets se côtoient à l’ombre des livres, rapportés de mes voyages (Inde, Maroc, Arménie, Turquie…), des pierres aussi… C’est ma bulle.

 

Mon bureau à l’étage, comme la hune d’un bateau.

 

Le fort des contes pour enfants à ma fenêtre.

Mais depuis plusieurs années, dès que je peux, c’est à Fès au Maroc (où j’ai eu la chance à plusieurs reprises d’être accueilli par l’Institut Français – et celui de Tanger- et de travailler avec des élèves), où j’aime saisir l’instant présent, les couleurs et les épices, toute l’essence de l’oisiveté pour trouver les mots justes qui doivent traduire au mieux les émotions dans un texte.

L’inspiration de Fès

 

Intervention scolaire au Maroc

Pour clore ce portrait bien trop conventionnel, pardonnez-moi, j’évoque enfin ma chronique littéraire radio « Couleur Papier », amorcée sur France Bleu en 2000, et reconduite aujourd’hui sur une autre antenne. J’ai le plaisir de défendre l’actualité du livre jeunesse et celle des adultes, en collaboration avec nombreuses maisons d’éditions. Un moyen d’être toujours informé sur le travail des ami(es) auteu(res).

 

Et rassurez-vous ! Ce que j’aime par-dessus tout, c’est rire, et l’humour véritable, le croirait-on ? (Ceux qui me connaissent ou qui m’ont croisé sur des salons, le savent.)… Et aussi le chocolat noir 70% ! Et tant d’autres choses encore, et tellement de belles personnes talentueuses aussi…

Griffon, magazine consacré chaque fois à un auteur. Illustration de Nathalie Novi.