Claudine Aubrun

Portrait

Regarder flotter les rubans
« Ah ! Ceci explique cela. Après cinq ans d’études aux Beaux-Arts, c’est normal que tu saches dessiner » me dit-on la plupart du temps quand j’explique que j’ai appris à croquer sur les plages, dans les trains, les métros, la rue, les cafés, sur les salons.

Mes années Beaux-Arts : une suite de galères personnelles.
Et ce n’étaient pas ces études qui allaient me servir de pansement. L’enseignement classique, cours de nu, de perspective, ne m’emballait pas. À cette époque, je n’en voyais pas la finalité. Quant à la section d’art contemporain, elle m’a très vite lassée. Ces discours étayant des œuvres qui ne se suffisaient pas à elles-mêmes, m’ennuyait. Pourtant, j’ai tenu cinq ans. De ce temps-là, entre bourse d’étude et boulots d’étudiant, je n’ai qu’une seule nostalgie ; celle des longs moments passés à rêvasser, à regarder flotter les rubans, à aller au cinéma, voir des expos, écouter de la musique. Tout ce qu’on trouvait inutile dans le milieu d’où je venais.

Le chagrin nous guettait tous

Après avoir retapé ma vie, j’ai eu un « vrai » métier comme on dit. J’étais chargée de communication dans une association de sauvegarde du patrimoine, proche de l’archéologie, des monuments. Tout allait bien. Je construisais une famille, j’apprenais les ficelles du métier. Je n’avais le temps de penser ni à l’écriture, ni au dessin quand sont arrivées les années sida. Autour de moi, les gens mourraient, le chagrin nous guettait tous. En revenant d’un enterrement, j’ai compris que j’allais avoir besoin d’un refuge. J’ai choisi l’écriture. Cela me semblait aller de soi. La lecture m’avait apaisée, l’écriture me protègerait.

De la serviette de plage à la moquette des salons du livre
L’image n’a jamais été très loin. Mieux qu’une photo, le croquis fixe le souvenir. On passe du temps à observer le gens, leur allure, leur silhouette. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Où vont-ils ?

L’été, je languissais sur la serviette de plage. Je croquais mes filles, les voisins de parasol, puis les clients aux terrasses de café, les passants dans la rue. De salon du livre en salon du livre, j’ai dessiné les dormeurs dans les trains, les voyageurs dans les gares, dans les aéroports, dans les métros, les auteurs, les autrices, les illustrateurs, les illustratrices, les visiteurs des salons, les lieux de résidence.

Résidence, chalet Mauriac

Se former pour être en forme
Certains auteurs et illustrateurs rechignent à se former. Moi pas. J’adore apprendre, découvrir, rencontrer les autres, échanger. Grâce à l’AFDAS, j’ai suivi plusieurs formations autour du dessin. J’ai repris mon apprentissage, là où je l’avais laissé : formation classique, cours de nu, de perspective, les bases du dessin. Cette fois, l’apprentissage avait un sens, j’avais un but.

Une relation riche et complexe
J’ai écrit et publié des dizaines de livres, certains sont illustrés. J’ai toujours laissé la place à l’illustrateur. Dans une association, il est normal qu’il ou elle développe son univers, sa vision de l’histoire. Mais très vite, je me suis demandée comment j’aurais illustré ce passage ? Qu’apporte le dessin au récit ? Vaut-il mieux illustrer ou raconter cette scène ? » J’ai suivi des formations en animation, histoires courtes, strip, bd, j’ai chroniqué texte et image pour un festival de musique manouche. Peu à peu, mes images sont devenues visibles.

Public manouch muzik festival

Comme si ma maison était le TGV
Les réseaux sociaux ont cet effet. Ils font loupe. Les dormeurs des trains, les voyageurs sont pour certains, ma marque. « Tu es toujours en déplacement » me disaient mes amis du net, « Tu n’arrêtes jamais ». Certes, je passais pas mal de temps dans les trains, ils étaient presque une autre maison, mais je ne faisais pas que voyager.

Écrire, illustrer ? Pourquoi choisir ?
Autre effet des réseaux sociaux. Ils montrent sans avoir à démarcher. Auteurs, autrices, lecteurs, bibliothécaires, éditeurs, éditrices ont découvert mes visuels. Certains m’ont encouragée, La maison est en carton, éditrice d’images, m’a commandé un dessin, mes voyageurs sont devenus visibles dans un livre numérique. Et puis, les éditions Syros m’ont proposé d’illustrer deux livres de la collection Tip Tongue co-écrits avec Stéphanie Benson. Ah ! La joie de pouvoir modifier le texte selon l’image qui l’accompagne ! Et celle de raconter par un dessin plutôt que par quelques lignes ! Résultat : aujourd’hui, je n’ai qu’une envie, continuer de raconter des histoires, avec des lettres, avec des traits.

Image réalisée pour La maison est en carton

Claudine Aubrun, septembre 2019, pour la Charte.

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