Les éditeurs moins bien payés que les auteurs ?

Publié le 07.02.2024

C’est le titre de l’article du Monde paru le 1er février, qui a suscité une vague d’indignation bien légitime auprès des auteurs et autrices.

Dans un timing qui pose question au moment où les organisations professionnelles d’auteurs et autrices militent au niveau européen pour une rémunération appropriée et un véritable statut, le Syndicat national de l’édition (SNE) communique une étude commanditée par ses soins au cabinet KPMG. L’orientation des résultats et la communication autour de cette étude sidèrent : nous aurions enfin la vérité sur le “partage de la valeur” entre auteur·rices et éditeur·rices.

Tandis que l’étude analyse les coûts et frais des maisons d’édition dans le détail, elle met en regard une catégorie “droits d’auteur” qui s’élèverait à 24,8 % : “un quart du chiffre d’affaires des éditeurs revient aux auteurs” nous assure-t-on. Le journal Le Monde lui-même prend des pincettes avec cette étude.

Les auteur·rices français·es vivant·es et en activité ne sont pas des “droits d’auteur !”

“Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde”, disait Albert Camus. Le premier biais de cette étude est d’assimiler une catégorie floue “les auteurs”, sous-entendant donc les auteur·rices français·es en activité, aux “droits d’auteur”.

Derrière cette appellation fourre-tout, on trouve pêle-mêle :
– Les redevances versées aux auteurs et autrices français·es une fois l’à-valoir amorti.
– Les à-valoir versés aux auteurs et autrices français·es.
– Les droits d’auteur versés à des éditeurs, les directeurs de collection (pour contourner les cotisations sociales).
– Les droits d’auteur versés dans le cadre de traduction de livres étrangers.
– Les droits de gestion collective.
– Les cessions de droits pour des auteurs et autrices étranger·es.
– Les redevances versées à des ayant droits d’auteurs et autrices décédé·es.
Et la liste n’est pas terminée !

Surprise : les auteurs et autrices sont vivant·es, payent des cotisations et ont des frais !

Le raisonnement de l’étude est de mettre en regard toutes les charges de ces entreprises avec les droits d’auteur versés. Problème majeur : en plus de mélanger des choux et des carottes, l’étude part du principe que ces rémunérations sont exemptes de tous les prélèvements incompressibles (cotisations sociales, impôts…) mais aussi que les auteurs et autrices ne font eux-mêmes, elles-mêmes, aucun investissement pour toucher ces rémunérations (matériel, recherches, location de bureaux, etc.).

En résumé, selon cette étude du SNE, les auteurs et autrices ne sont pas des corps, pas des professionnels en activité, mais une catégorie très floue de “droits d’auteur versés”.

Si on creuse l’étude, on se rend compte qu’en réalité, elle prouve tout autre chose…

Le problème majeur est la communication autour de l’étude, car après quelques calculs, on comprend que les droits d’auteur représentent 25 % du chiffre d’affaires : autrement dit, tous les auteurs, toutes les autrices, et les autres catégories précédemment citées se partagent cette rémunération. Prenons un exemple très réaliste : une très grande maison d’édition a publié au cours des cinquante dernières années mille auteur·rices, cela fait donc en moyenne… 0,025 du chiffre d’affaires pour chacun·e ! Pour faire une comparaison simple, c’est un peu comme si le patron d’une entreprise disait “hey, mais mes employé·es gagnent plus que moi, regardez la totalité des salaires versés !” et les salarié·es répondraient : “euh, oui, mais nous sommes mille à nous partager ce montant !”.

Les grands groupes éditoriaux ne sont pas les “éditeur·rices”’

Nommer “éditeurs” des grands groupes au chiffre d’affaires aux milliards d’euros n’illustre pas la réalité. Les éditeurs et éditrices sont souvent nos interlocuteur·rices pour le suivi éditorial de nos ouvrages, ce sont des salarié·es dont les conditions de rémunération ne sont souvent d’ailleurs pas à la hauteur de leur investissement. Les grands groupes éditoriaux sont des holdings à la fiscalité bien étudiée, comprenant des filiales bien organisées. Également, l’étude fait, fort pratiquement, abstraction du fait que les grands groupes éditoriaux possèdent eux-mêmes leur propre circuit de diffusion, dont les résultats remontent donc dans le groupe.

La Charte précise qu’elle opère une nette différence entre la parole du SNE et celle de nos interlocuteur·rices au quotidien. Nous savons d’ailleurs que nombre d’éditeurs et éditrices disent tout bas se désolidariser de cette étude : qu’ils et elles le fassent à voix haute !

La Charte rappelle et rappellera toujours qu’écrire, dessiner, créer des œuvres, est un travail. Que les auteurs et autrices que nous défendons sont des professionnel·elles bien vivant·es, en activité. Et qu’il est temps que la chaîne du livre nous reconnaisse comme tels, telles. Nous vous tiendrons informé·es de la suite que nous donnerons à la parution de cette étude.

Si vous souhaitez en discuter ensemble, nous vous invitons à rejoindre le groupe Les Chartistes sur Facebook.

Le Conseil d’administration de la Charte

 

 

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