Négociations professionnelles dans le secteur du livre : la Charte quitte la table des discussions

Actualisé le 31 janvier 2022

Mesure issue du plan auteurs 2021-2022 annoncé par le ministère de la Culture en mars dernier, la mise en œuvre de « négociations sui generis sur l’équilibre de la relation contractuelle » dans le secteur du livre fait suite à l’une des recommandations du rapport Racine. Accompagnées par le professeur Pierre Sirinelli, ces discussions avaient pour objectif d’ « Apporter une réponse économique à une question économique », le rapport Racine ayant établi la longue érosion des revenus des auteurs et autrices. Une situation encore aggravée, depuis, par la crise sanitaire.
Par ailleurs, dans ses conclusions remises en décembre 2020, une mission conduite, là encore, par le professeur Pierre Sirinelli écartait l’édification d’un régime juridique propre au contrat de commande pour rémunérer le travail de création, privilégiant le recours à la négociation collective.

Soucieuse de porter la voix des auteurs et autrices jeunesse, catégorie qui se distingue par ses niveaux de rémunération particulièrement faibles, la Charte s’est engagée dans cette négociation, auprès d’autres associations d’auteurs et d’autrices. Dès le départ, nous avons affiché clairement nos intentions : si nous étions ouverts à la discussion et au compromis, comme l’exige un tel exercice, nous ne signerions l’accord que si celui-ci permettait d’améliorer significativement les conditions de vie des auteurs et autrices. Une feuille de route acceptée par toutes les parties en juillet 2021 – collège auteurs comme éditeurs – fixait ainsi le cadre de cette négociation, listant les points sur lesquels tout le monde s’accordait à discuter : la transparence dans les relations contractuelles auteurs/éditeurs et les conditions de la rémunération des auteurs.

Où en sommes-nous après 8 mois de négociations ?

Les avancées, bien maigres, ont été dévoilées cavalièrement par Vincent Montagne, président du SNE à l’occasion de ses vœux : une semestrialisation du versement de nos droits (qui ne serait pas effective avant 5 ans), ainsi que des mesures allant vers plus de transparence, et d’encadrement de la fin de contrat. Si cela va dans le bon sens, nous ne pouvons nous en satisfaire. Certains éditeurs versent déjà les droits d’auteur en deux fois, et cela n’aura aucun effet sur le total, qui restera trop souvent ridiculement bas. En outre, la mise en place d’un minimum de transparence dans les relations contractuelles n’a rien d’une avancée significative. Cela devrait aller de soi.

Malgré les demandes répétées de l’ensemble du collège auteurs, un éternel report des discussions sur la rémunération nous a été imposé. L’accord devait être conclu au 15 novembre. À cette date, rien n’ayant abouti, la mission a été prolongée jusqu’au 15 février 2022. Aujourd’hui, en raison d’un « manque de temps » il nous est proposé d’acter les avancées, et d’ajourner les discussions sur la rémunération à un hypothétique « deuxième round » de négociations. Alors que Vincent Montagne se félicite, dans ses vœux, des résultats « exceptionnels » du marché du livre pour 2021 (hausse de 20 % en valeur par rapport à 2020 et de 19 % par rapport à 2019), le collège auteurs a demandé collectivement au SNE d’énoncer clairement la forme que pourrait prendre, selon les éditeurs, un meilleur partage de la valeur. Nous attendons encore la réponse. Comment, dans ces conditions et en l’absence totale de garantie, attendre quoi que ce soit de ce cycle de négociations qui est sur le point de s’achever ?

Le calendrier électoral dicte d’arriver rapidement à des résultats. Or, ce qui se profile n’est pas satisfaisant pour nous. La Charte a donc pris la décision difficile de se retirer des négociations, et ne signera pas l’accord qui en est issu.

Ce faisant, nous souhaitons protester contre la non prise en compte du déséquilibre injuste et injustifiable dans les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs. Triste constat, deux ans après la remise du rapport Racine, qui brossait pourtant un portrait glaçant des conditions d’exercice des artistes-auteurs et autrices. Face à l’urgence, le rapport appelait à la mise en œuvre de vraies réformes, et non de mesurettes.

Nous pointons également un gaspillage regrettable des ressources des organisations d’artistes-auteurs et autrices. Deux coprésidentes de la Charte ont assisté chaque semaine, depuis juin 2021, à une réunion hebdomadaire, assortie de diverses réunions préparatoires entre auteurs ou en interne. Nous estimons à plus de 300 le nombre d’heures consacrées à cette négociation. Des heures durant lesquelles les bénévoles n’exercent pas leur métier et mettent en péril leur subsistance, face à des éditeurs salariés accompagnés de leur service juridique. Nous avons la désagréable impression d’être dans un exercice où les parties prenantes ne jouent pas à armes égales. Cela pose une nouvelle fois la question des conditions d’exercice du dialogue social dans notre secteur, et d’une réelle volonté politique en faveur des professionnels de la création.

Nous tenons toutefois à saluer le travail mené au sein du collège auteurs. Nos organisations ont su parler d’une même voix pour défendre les auteurs et autrices, apportant un solide démenti aux déclarations comparant nos relations aux « conflits en mer de Chine ». Ce travail pour une rémunération plus équitable, nous souhaitons continuer de le mener collectivement.

Nous respectons nos adhérents, nous respectons nos membres. Nous quittons un jeu de dupes qui consiste à nous promener dans de vaines discussions. Désolés, mais nos frigos sont vides, et nous avons besoin de gagner notre vie. Nous avons donné plus de 300 heures de notre temps face à des interlocuteurs qui n’ont pas même trouvé le temps de répondre à notre dernier courrier. Dont acte.

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