Ramona Badescu

Portrait

J’ai 10 ans quand
pour la première fois
depuis un an
je revois mon papa
au prix de changer de langue, de maison, de pays.

J’ai 18 ans quand
je commence à étudier le théâtre,
20 quand j’arrête
et démarre avec une comédienne amie et un musicien amour la compagnie “je sais bien mais quand même” 3 spectacles coopératifs, puis continue en pointillés à être voix, interprète d’autres écritures, d’autres spectacles, d’autres compagnies.

C’est à un spectacle de “je sais bien mais quand même” que je rencontre
Benjamin Chaud, illustrateur qui s’ennuie un peu (au théâtre) rit beaucoup (de la vie). Avec lui je commence à écrire autre chose que du théâtre, des poèmes-affiches, gribouilles… j’écris pour les enfants. Pour l’enfance. Avec l’enfance. Du côté de l’enfance. Lentement. Mais sérieusement.

Au café, au soleil, à la plage
on cherche, on fouille, on découvre
avec nos crayons respectifs, POMELO, mini éléphant de jardin,
qu’on essaie depuis d’apprivoiser.
On lui taille des histoires sur mesure. Une par an. Un an pour chaque.
Maintenant ça fait 10 ans. Ça va faire.
On pourrait se dire “sur des roulettes”
et bien pas du tout “sur des roulettes” !
Toujours le trac. Comment commencer quand ce n’est plus un début ? Ça ne le sera plus jamais. Une suite. Toujours. Ce recommencement-continuité.
Plus ça va plus ça s’affine, ça se précise, ça vient.
Ça se complexifie aussi.
Même quand on simplifie comme Pomelo et les couleurs, ou Pomelo et les contraires.
Ça ne simplifie rien du tout de ne mettre qu’un mot par page. Ça exige. Ça exige que ça soit ce mot là, dans ce contexte là d’image. Pas ailleurs, ni autrement. Ici, maintenant et en rythme sur 128 pages.

L’an prochain on change tout, on rejoue tout, on trace la route : avec les dix ans de Pomelo, c’est la grande aventure ! En grand et en panoramique, comme au cinéma.
Bon,
Pomelo c’est une chance.
Il va beaucoup et dans des endroits insoupçonnés. Hop, un jour Pomelo dans le New York Times, un jour au Bon marché, un jour Pomelo en coréen, un autre en espagnol, en suédois, en japonais, en grec, en pâte à sel, en italien, sur le mur d’un foyer d’accueil, en Chine, aux USA… des langues, des endroits que pour la plupart je ne connais pas.

Il y a donc Pomelo, il y a une bonne dizaine d’autres livres aussi.
Des albums, beaucoup.
Cette danse toujours avec les images. Les imaginaires. Les amis, souvent.
Delphine Durand (Gros Lapin), Chiaki Miyamoto (Mon Panda, Petit Fantôme), Olivier Balez, Candice Hayat, Irène Schoch, et maintenant Aurore Callias. Et puis toujours, encore, Benjamin Chaud, d’autres techniques, d’autres formats, d’autres éditeurs, d’autres expérimentations.
Il y a chez Naïve, L’Amour ? et Monstres chéris qui ont été longs et beaux à faire.

Il y a les livres qui arrivent aux lecteurs et ceux qui se cassent en route la pipe.
Là-dessus, aucune prise, on n’y peut rien. Aujourd’hui je ne sais toujours pas, comment sauver un livre de sa disparition programmée.
Mais quelque chose fait qu’on recommence, encore. Trébuche et recommence.
Parfois un gouffre. Comme Belem, 4 livres – pour moi – et hop ça ferme !
Aujourd’hui, parce qu’on est aujourd’hui, il faut presser le pas.
Aujourd’hui, je commence à écrire plus long. Ça donne deux romans. Tristesse et chèvrefeuille (Histoire de la Taupe) et Le Bal d’Automne (Histoire du Hérisson).

Joyeusement illustrés par Aurore Callias, édités avec soin par Albin Michel Jeunesse.

C’est le début d’une série : DANSLAFORET.
C’est l’histoire de ce lieu – danslaforêt – et des personnages qui l’habitent : Hérisson, Taupe, Écureuil, Fourmi, à un moment de vie, un moment de bascule. Un moment qui change la perception du monde, des autres et de soi. Qu’est-ce qui fait battre le Coeur ? Vibrer l’air ? Changer les choses ?
C’est mon lieu d’exploration.
Du trouble, de l’émotion, du drôle aussi – ce drôle qui est dans l’envers des choses, dans les mots eux-mêmes. Quand bien même ces mots sont « mort », « étranger », « peur », « traverse », « rencontre ».

Parfois je lis ces histoires. Dans des bibliothèques, des écoles. Je suis toujours étonnée de voir, de sentir en fait, d’assister à cette écoute qu’ont les enfants pour une histoire.
Cette écoute, qui parfois suspend le temps, le tend plutôt, oui le tend comme ensemble on tend un drap à sécher au soleil.
“Raconte-moi une histoire” est peut-être le fil, de tout, dans ma vie-travail.

« Depuis toujours, je suis oreille. »

J’en écoute moi-même beaucoup, des histoires. Depuis toujours, je suis oreille. Les histoires des vieilles tricotant sur le banc, des enfants dans la poussière des routes (moi compris), des histoires de livres (Andersen, les frères Grimm), maintenant des histoires de mon fils, avec mon fils, (Fifi Brindacier reste notre préférée, tout près de Pinocchio), des histoires de vie, d’école, d’amis, d’amour, de guerre, d’étrangers, d’art, de livres, enfin… parce que les histoires des livres, juste après celles de la vie, me sont les plus parlantes. Elles sont en moi, une voix inoubliable. Avec le temps cette polyphonie intérieure m’est, peut-être la plus grande chance.

C’est ce multivoix, oui, que j’aimerais bien déployer, à ma façon, DANSLAFORET.
Aujourd’hui j’écris le troisième roman-récit de cette série, celui de La Fourmi. Une histoire sur le travail, l’accident, le temps qui se dilate. Je l’ai commencée cet automne en résidence, chez Fotokino et dans mon Atelier Venture. C’est dans cette « Fourmilière bon vivre » que je travaille, souvent.

Et maintenant donc
c’est Pomelo et la grande aventure qui est quelque part dans l’ordi de mon éditrice, L’histoire de la Fourmi quelque part dans le mien,
une valise qui se prépare pour un mois de résidence en Italie,
un bon pli n°3 tout frais sorti.

 

Plus long qu’un poème, plus court qu’un livre, plus secret qu’une affiche,
numéroté signé sérigraphié, 161 exemplaires avec Fotokino et Nicole Crème : vous pouvez le commander en m’écrivant (ici) pour 10 euros + frais d’envoi.

Maintenant c’est aussi un projet sur le temps qui mijote et palpite avec Bruno Gibert
et un autre qui se laissera voir durant un Bon Week-End du mois de juin, à Marseille,
avec Arno Célérier.
Enfin, rien n’est sûr. Mais c’est là, autour et en moi. Parfois ça prend un temps… comme cette histoire sur nos 10 ans avec Hélène*… Rien n’est sûr, mais je l’espère, vraiment.

 

. . . Attention, passage de témoin ! . . .

 

*Hélène c’est h, c’est Hélène Riff. La première fois, c’est un nom sur un livre. Pas n’importe lequel. Non, l’un des 3 qui m’ont tenu la main, ouvert la porte de la littérature jeunesse, quand Benjamin Chaud m’a dit : « Tu veux pas écrire un truc pour les enfants ? »
Hélène Riff, c’est une rencontre un jour de Montreuil, et la belle amitié qui depuis se déroule, comme pelote pour tricoteuses. Hélène Riff c’est l’auteur de Papa se met en quatre, qu’on a transformé en spectacle avec la belle équipe de “La Reine Peinte” – dedans je jouais. Je dois tant à Hélène.
Alors je me lève, m’incline. Une petite révérence. Et hop libère la place, la page, la chaise. Tiens, je te laisse cette chaise h, sur la petite scène de l’internet – comme tu m’as laissé un jour, celle étoilée de papa. 1 2 1 2… Hélène ? À toi !

> Lire le portrait d’Hélène.