Alexandra Pichard

Portrait écrit

Autour du petit pavillon dans lequel j’ai grandi, il y a le collège municipal, la caserne des pompiers, et un vaste complexe sportif déserté qui fait office d’extension du jardin : la fosse de saut en longueur est un bac à sable dans lequel jouer et le terrain de basket l’endroit où apprendre à faire du vélo sans les petites roues.
Enfant, je me délecte des histoires que mes parents me lisent le soir et, il faut bien l’avouer, de ce que la télé me montre le jour. Gastronomie et junk food intellectuelles, voilà de quoi je suis nourrie. Je dessine aussi avec appétit et profite de l’apprentissage de l’écriture pour faire ce qui ressemble à des livres.

Les cauchemare de Mélani, 1991

À 15 ans, je rencontre ma deuxième famille en Arts Appliqués : avoir pour camarades de classe trente adolescents créatifs et curieux, c’est une belle aubaine, alors je m’attache. Pour combler le tout, j’ai, à la tête de cette nouvelle fratrie, un papa et deux mamans, qui entreprennent notre éducation artistique.

Je suis déterminée à être illustratrice, mais les filières sont rares et très demandées. Étudiante, je dois me résoudre à prendre des détours avant d’être enfin admise aux Arts Déco de Strasbourg en illustration.
Alors que, jusque-là, je remplissais mes carnets avec frénésie, je m’arrête brutalement de dessiner : la sélection pour intégrer l’École est telle que je me retrouve entourée d’élèves brillants et exigeants, qui ont une culture déjà bien étoffée de l’illustration ou de la bande dessinée. Guillaume Dégé, qui dirige l’atelier, m’impressionne par son érudition et son mordant, et me donne envie de progresser.
Observatrice et en retrait dans un premier temps, j’apprends dans ce cadre à aborder l’illustration différemment, sous un angle narratif et adulte. Ce n’est qu’en fin de cursus que je commence à développer un travail personnel, encore un peu fragile.

Projet de diplôme, 2009

 

La formation continue après l’École, au fil des expériences professionnelles et en continuant d’échanger avec les illustrateurs rencontrés pendant les études et plus tard. D’années en années, je sens mes envies se préciser et mon trait s’affirmer. J’illustre tour à tour mes propres livres ou ceux que d’autres ont écrit, travaille pour la presse jeunesse comme pour la presse adulte et collabore parfois avec des agences de communication.
Varier les exercices, alterner les projets courts et longs, adulte et jeunesse, me permet de trouver un équilibre dans mon travail. Ce qui est constant d’un projet à l’autre, c’est la volonté d’avoir des personnages expressifs, le choix d’une gamme colorée réduite, et la recherche de compositions le plus structuré et le plus lisible possible.

 

Histoires pour les Petits, 2016

 

The New Yorker, 2018

 

J’aime répondre à des commandes de presse parce qu’elles dynamisent mon rythme de travail. On n’a pas le temps de tergiverser, il faut assumer ses choix et les mettre en forme rapidement. Une fois le travail terminé, je reviens plus efficace au livre que je suis en train de faire et j’observe que mon geste est plus fluide.

Faire des livres, c’est ce qu’il y a de plus difficile mais c’est ce qui me nourrit le plus à long terme.
Il me vient d’abord des images, des envies de personnages représentés dans des situations particulières. J’essaie ensuite d’articuler ces images entre elles de manière à structurer une histoire, et les rares fois où j’y parviens, le livre devient possible.
J’ai bien intégré que la majorité des lecteurs étaient des enfants, ce qui me pousse, de façon inconsciente, à faire des choix que je ne ferais pas autrement. Mais au fond, je n’ai aucun doute sur le fait qu’un terrain d’entente soit possible entre nous, et je ne pense pas à eux quand je travaille. En revanche, je pense aux adultes, qui ne sont pas forcément des parents, et qui tiendront peut-être le livre entre leurs mains. J’ai envie de croire qu’ils puissent être sensibles à l’imaginaire et au graphisme du livre, et j’espère qu’ils auront envie de se l’approprier.

 

Troisième branche à gauche, 2015

 

Quand le livre paraît, il y a deux grands plaisirs :

Le premier plaisir est de voir les fichiers informatiques sur lesquels on a longtemps travaillé, enfin matérialisés sous la forme d’un livre. Quand on travaille à l’ordinateur comme moi, on a parfois tellement le nez dedans, qu’on oublie presque que les images vont exister autrement, faites d’encre et de papier, prises dans un format dans lequel on ne pourra plus zoomer ni dézoomer.
C’est toujours une surprise de découvrir le livre imprimé, d’autant plus que sa publication intervient plusieurs mois après la fin du travail, et qu’on a eu le temps de changer de préoccupation.

Le deuxième plaisir est de profiter de ce recul pour observer le livre, passivement, faire sa vie. Après avoir travaillé des mois dans la confidence, réfléchi à chaque détail, essayer de tout contrôler, c’est très curieux d’être subitement spectatrice des réactions qu’il suscite, indépendante des opportunités qu’il crée. Et quand le livre est traduit, c’est incroyable de se dire qu’il est lu par quelqu’un dans une langue étrangère, parfois à l’autre bout du monde !

 

Un monde de lunettes, 2019

 

Alexandra Pichard, février 2020