Emmanuelle Houdart

Portrait

 Nous allons vous raconter une métamorphose.
Un récit comme il en existe tant, peuplé de monstres et de merveilles.
Une initiation à soi et au monde, où il est question de trouver sa maison et dʼy établir son trône de reine.
Lʼhistoire dʼune petite fleur des alpages parvenue à se déraciner suffisamment pour sauver sa peau, sʼextraire dʼun carcan trop étroit pour contenir son éclosion, et poursuivre la distillation subtile dʼune sève dont elle gorge généreusement ses fruits.

Il était une fois Emmanuelle Houdart.
Un 30 septembre 1967, dans le creux des montagnes valaisannes où tant de sources claires se joignent pour donner naissance au grand fleuve du Rhône, naît la petite Emmanuelle. Cʼest une fille au milieu de deux soeurs, à qui on chante le samedi matin :
“Debout les gars, réveillez vous, il va falloir en mettre un coup
Debout les gars réveillez-vous, on va au bout du MON-DE !”
Et en route pour une balade dans le bois dʼà côté, une cueillette de gentianes dans les prés, ou une petite baignade dans lʼeau toujours fraîche de la piscine du village.
“Allons-y casquettes à la foire aux chapeaux”
Elle grandit dans un monde de chalets, en sécurité dans un petit village où les bandes dʼenfants se retrouvent pour construire des cabanes dans les bois.

A lʼécole, Emmanuelle adore son instituteur. Elle est douée pour la rédaction et le dessin. On sʼétonne “mais où vas-tu chercher toutes ces idées ?” Le froid est sec, mais il fait bon chaud vivre dans ce monde familier si propice à lʼenfance. Noël est une apothéose, la messe de minuit un couronnement.
La vie est rythmée par la messe. On sʼy rend dans de beaux habits et on attend son tour pour le grand bain de la confession. On se lave de tous les Péchés de la semaine. On apaise la colère si redoutée dʼun Dieu tout puissant à la fois rassurant et menaçant. Et on se sent tout neuf, immaculé comme la neige qui sʼaccumule pour former de hauts murs, comme des remparts protecteurs contre la menace des ténèbres, le royaume du Diable. Lʼombre noire des forêts de sapins, lʼimmensité insondable de la nuit, les recoins sombres des maisons sont peuplés de monstres maléfiques. On fuit tout ce qui est trouble, on se méfie de lʼinconnu, et on se blottit près de la lumière, émerveillé par le scintillement des étoiles, cette multitude dʼalliées célestes.
Cachée sous la couette pour ne laisser dépasser aucune partie de son corps, susceptible dʼêtre dévorée pendant son sommeil, Emmanuelle sʼendort sous les regards bienveillants de Jésus et de Marie, la poitrine transpercée par le rayonnement dʼun coeur enflammé. Emmanuelle fait durer lʼenfance. Elle campe sur les rives du merveilleux.


Seulement, à 17 ans, elle est chassée du paradis.
Ses résultats scolaires sont désastreux, les professeurs en soutane noire finissent par abdiquer. Elle est renvoyée du lycée.
Elle nʼa plus de perspective, et son entourage démissionne.
Pour la distraire, on lʼinscrit aux cours de dessin de la Migros, la grande chaîne de supermarchés, et elle sʼy rend toutes les semaines. Ce rendez-vous devient très vite son ancre, sa pierre dʼattache. Elle sʼy accroche avec ferveur et y dépose tous ses espoirs, malgré les réactions effarées que suscitent ses dessins.
Elle poursuit son parcours aux Beaux-Arts, sʼextrait petit à petit de ses montagnes, jusquʼà s’exiler à Paris, capitale de la liberté, où ses petits monstres articulés en papier découpé lui offrent son premier contrat dʼillustratrice.
Et un jour dʼhiver glacial, dans cette ville immense à ses yeux, elle croise le chemin dʼun homme magnifiquement ténébreux, un lézard en argent accroché à son manteau. Le coup de foudre est si monumental quʼil lui fait prendre racine une seconde fois.
Cʼest ainsi quʼEmmanuelle devient Emmanuelle Houdart.
Dés lors le retour au pays ne sʼenvisage plus, la vie sera parisienne ou ne sera plus.

Les robes popotines de sa couturière préférée, les cafés du matin au bistrot du quartier, sa nouvelle maison, avec cet homme-là à ses côtés, lui vont comme un gant.
Un lutin lʼaccompagne et sʼinstalle dans son foyer. Il est de bon augure et saura lui souffler à lʼoreille que tous les espoirs sont permis, toujours.
Elle sʼentoure de toute une population de grigris qui la protège, et même si les débuts sont laborieux, elle tient bon.

Elle sʼarme de courage et affronte les sentences des éditeurs sceptiques jusquʼà dénicher année après année une bonne poignée de personnes de confiance avec lesquels le travail rime avec amitié. Ces relations sont surtout des collaborations, ses livres lui ressemblent de plus en plus. On ne la freine plus, on lʼaccompagne pour extraire le meilleur de cette sève si particulière toute empreinte de sublime mêlé de monstrueux qui caractérise son univers.

Un portrait écrit par Laëtitia Bourget, pour la Charte, 2013
Photographies de Pascal Houdart