Guillaume Guéraud

Portrait

Cinéastes

Mes auteurs préférés s’appellent Akira Kurosawa, Charlie Chaplin, Elia Kazan, Sam Peckinpah, Michelangelo Antonioni, Jean-Luc Godard, Nagisa Oshima, Stanley Kubrick, Chris Marker, William Friedkin, David Lynch, Abel Ferrara, Edward Yang, Kathryn Bigelow, Wong Kar-waï, Takeshi Kitano, Johnnie To, Jia Zhang-ke, Kim Ki-duk et Bong Joon-ho. Ils ne sont pas écrivains. Ils sont cinéastes.

Shining (1980) de Stanley Kubrick

Carnage

Il y a désormais plus de mille morts dans ma bibliographie. Je les ai comptés soigneusement. De Cité Nique-le-Ciel (un mort en 1998) à Shots (dix morts en 2016). J’ai allègrement franchi la barre des mille en 2015 grâce à Plus de morts que de vivants où j’exécute six-cent-douze collégiens, soixante profs, plus une cinquantaine de flics et de secouristes. Cette lourde addition relève plus de la boucherie que de la poésie. Mais je trouve ça romanesque. Et même romantique. J’ai éborgné-égorgé-éventré. J’ai tranché la langue d’un homme au sécateur (Coup de sabre) et j’ai cloué la bouche d’un bébé avec une agrafeuse murale (Le Contour de toutes les peurs). Ça m’éclate. Et ça me calme. Ça me permet surtout d’éviter de tuer des vrais gens dans la vraie vie. Je serais un putain de serial-killer si je n’écrivais pas. J’assassinerais notamment tous les exploiteurs, tous les actionnaires, tous les capitalistes et tous les membres du Front National. Mais je reste malheureusement sage. En commettant mon carnage page après page. Il y a cette phrase de Kafka : « J’écris pour fendre à coups de hache la mer gelée qui est en moi. » Moi, c’est tout le contraire, j’écris pour tenter de geler le feu qui brûle en moi – et pour éviter d’envoyer des coups de hache dans la gueule de tout le monde.

Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard (à gauche)
Sonatine (1993) de Takeshi Kitano (à droite)

Mauvaise réputation

Je traîne un tas de casseroles, plus ou moins vieilles, à cause de tout ce que j’ai pu dire lors de mes rencontres en milieu scolaire ou en bibliothèques ou quoi. Ou à cause de mon comportement sur les salons du livre, parce que je ne tiens pas en place ou que je me moque d’un élu lors de l’inauguration officielle, que je débranche la sono ou que je fais semblant de vomir. Il y a un tas d’histoires mais, honnêtement, je ne m’en souviens pas. Des camarades me disent régulièrement des trucs comme « houlà je suis allé au Prix des Dévoreurs de Livres à Evreux le mois dernier, ils se rappellent encore de ton passage, ils ne veulent plus entendre parler de toi ». Bon sang. J’étais à Evreux en 2000 et je ne sais plus du tout de ce que j’ai pu faire là-bas. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’ils ne m’ont plus jamais réinvité. Je me suis pourtant bien assagi depuis, merde, je vieillis. Le plus intrigant, c’est quand même les endroits où je fous la trouille alors que je n’y ai jamais mis les pieds. Quelques amis auteurs ou illustrateurs tentent bien de m’y faire inviter mais on leur rétorque en écarquillant les yeux : « Ah non, on nous a raconté les propos qu’il tient aux ados, c’est pas la peine ! ». Sans déconner.

Sailor et Lula (1990) de David Lynch

Courants d’air

Je ne dis pourtant aux ados rien de plus que ce que je raconte dans mes romans. Je réponds à leurs questions. Je leur en pose. Et j’essaie d’ouvrir des fenêtres un peu plus plus larges que l’écran de leurs smartphones. Je leur dis par exemple que Plus de morts que de vivants est un roman sur la contamination des esprits par les idées du Front National et par Internet. Ça entraîne forcément de nouvelles questions. Dont je n’ai évidemment pas les réponses les plus nuancées. Alors des profs me sermonnent parfois : « Vous n’avez pas parlé de littérature ! » Alors que j’ai l’impression de n’avoir fait que ça.

L’Exorciste (1973) de William Friedkin

Adolescence

J’adore les ados. Même si j’ai régulièrement envie de les secouer quand je les rencontre. Mes personnages principaux sont des ados parce que c’est l’âge le plus bancal et le plus bestial. Le meilleur film sur l’adolescence est selon moi L’Exorciste de William Friedkin. Sans rire. C’est le film qui décrit de la façon la plus juste le passage d’une jeune fille de l’enfance à l’adolescence. Et c’est pour cette raison que c’est un film qui fait si peur.

Les Temps modernes (1936) de Charlie Chaplin (à droite)

Foudre

Je suis tombé amoureux d’une fille sur un salon du livre, merde, elle écrit aussi des romans jeunesse. On vit ensemble mais on n’écrit pas côte à côte. Elle écrit dedans et moi j’écris dehors. Elle écrit dès qu’elle peut et moi quand ça me prend. On ne lit pas nos manuscrits respectifs avant qu’ils soient finis. Et quand le moment arrive, forcément, on s’embrouille. Ses livres ont bien plus de succès que les miens. Elle peut m’inviter en voyage quand elle reçoit ses droits d’auteur. Moi je peux juste lui offrir une place de cinéma.

A touch of sin (2013) de Jia Zhang-ke (à droite)

Hors-la-loi

Je suis pas un mec moderne. J’écris sur du papier. J’ai pas de site Internet, j’ai pas de compte facebook, j’ai même pas de smartphone. Juste un mail. Et une page YouTube où je réalise quelques petits films à la con. Je me souviens de ce hors-la-loi déclarant dans la première scène de Pat Garrett et Billy le Kid (1973) de Sam Peckinpah : « Le monde devient pire qu’une prison pour les gens comme nous… » Je ne suis pas un cow-boy comme lui et je ne connais pas encore la prison mais c’est cette définition du monde qui me pousse à écrire des livres.

 

Vidéos tracts

Guillaume Guéraud, novembre 2016