Communiqué

Fiscalité : les auteurs et les autrices veulent être en règle

Le 11/12/20

Les artistes seraient-ils·elles au-dessus des lois ? Formeraient-ils·elles une catégorie de citoyens et citoyennes à part, trop créatifs et créatives pour s’accommoder des règles ou s’acquitter de leurs tâches administratives ? C’est ce que semble vouloir démontrer une tribune signée par le président de la Société des gens de lettres, et publiée ce mercredi dans les colonnes de Livre Hebdo.
Cette tribune, nous l’avons découverte avec un certain étonnement. Ainsi, il est donc possible d’affirmer publiquement, en toute décontraction, que nous ne devrions pas avoir à nous « plier » aux dispositions légales, l’administration s’étant toujours « accommodée d’une situation qui ne lésait personne ». Il y a de quoi tomber de sa chaise.
Monsieur Hardy, nous affirmons au contraire que le flou et les bricolages empoisonnent notre vie depuis des décennies. Ils nous mettent dans une insécurité juridique insupportable et très lourde de conséquences. À la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse, nous recevons chaque jour des appels et des messages d’auteurs et autrices absolument paniqué·es qui ne demandent qu’une chose : des règles du jeu claires.
Nous évoquons bien ici une vraie détresse, et non un simple inconfort. Nous n’en pouvons plus de recevoir des Chartistes à bout, à force de recevoir des instructions contradictoires. Nous n’en pouvons plus de voir certains et certaines de nos collègues cesser leur activité, épuisé·es tant par la précarité que par les embrouillaminis administratifs.

Monsieur Hardy, commençons par souligner les principales contrevérités assénées par votre tribune. Vous accusez une organisation professionnelle de défense des auteurs, le CAAP, d’avoir décidé « sans concertation avec l’ensemble des associations professionnelles, de réclamer que l’État impose à tout auteur qui voudrait participer à un salon, animer un atelier d’écriture, faire une demande de bourse, intervenir dans une classe pour un projet d’Education artistique et culturelle, de disposer d’un numéro de SIRET et de se soumettre aux contraintes administratives qui en découlent – gestion des acomptes trimestriels par exemple. » Cette affirmation est contestable à plusieurs titres.
Premièrement, elle sous-entend qu’il est question d’imposer aux artistes-auteurs et autrices des dispositions nouvelles. Or, rien n’est plus faux : il s’agit d’appliquer le droit existant, un droit dont nous avons été sous-informé·es durant des décennies. L’administration fiscale l’a récemment rappelé, seuls les revenus provenant des éditeurs, des producteurs, et des OGC (Organismes de gestion collective) peuvent être déclarés sous le régime des traitements et salaires. Tous les autres revenus doivent l’être sous le régime du BNC. Ce qui impose effectivement de disposer d’un numéro de SIRET. Ces instructions sont publiques et tout à fait officielles. Nous laissons à chacun et chacune le loisir de le constater ici (https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23749?fbclid=IwAR0Rofdsh-YugJBhaPt-I3QHoUNyqM9YYPHZ4njGWISZSwLUsrs6kN26Al0 ). En s’en faisant l’écho, la Charte a choisi son camp : celui de la légalité.

Deuxièmement, il ne s’agit aucunement d’une obscure réforme menée par un syndicat isolé. Nous demandons tout simplement que l’administration énonce clairement le droit en vigueur, en recoupant enfin les textes nous concernant. À la suite d’une réunion sur la fiscalité tenue au ministère de la Culture le 27 novembre dernier, pas moins de 17 organisations, dont la Charte, ont envoyé aux services du ministère une contribution commune (https://www.artistes-auteurs.fr/communiques/07-decembre-2020/). Comme chacun pourra le constater, nous sommes nombreux à défendre des positions de bon sens, et l’on est loin du « diktat » ainsi pointé.

Sur une note plus terre à terre, vous sous-entendez, Monsieur Hardy, que la perspective de créer un numéro de SIRET et de s’acquitter des formalités afférentes au régime du BNC serait une épreuve insurmontable pour les artistes-auteurs et autrices. Soyons sérieux. Tous les autres professionnels et toutes les professionnelles de ce pays sont bien capables de se mettre en règle, pourquoi pas nous ? Au risque de nous répéter, ce n’est pas une allergie à l’administratif et à la fiscalité qui nous entrave, mais bien une difficulté à nous voir fournir un mode d’emploi clair de la part de l’État.
Il suffit de quelques minutes pour créer un SIRET d’auteur sur le site du Centre de formalités des entreprises. Dans de nombreux cas, éditer nous-mêmes des « notes d’auteurs » sans existence juridique avérée est un exercice amplement plus compliqué, puisqu’il nous est demandé d’y inscrire le détail du précompte. Sans parler de l’obligation qui nous est faite de fournir les fameux certificats de précompte. Nous n’arrivons déjà pas à obtenir ces derniers de nos partenaires réguliers (nos maisons d’édition, notamment). Que dire alors de tous les acteurs avec lesquels nous collaborons : salons, festivals, établissements scolaires, bibliothèques, etc. ?

Monsieur Hardy, vous écrivez également ceci : « jusqu’à nouvel ordre ne pas avoir [de numéro de SIRET] et ne pas déclarer ses revenus en BNC n’a jamais empêché un auteur d’être rémunéré pour les livres qu’il écrit, pour les interventions qu’il fait dans les salons ou les festivals, pour les rencontres qui lui sont proposées pour parler de son œuvre ». Nous devons une fois encore apporter un démenti.
Comme vous le savez, les auteurs et autrices jeunesse sont très coutumiers des rencontres en milieu scolaire. Nous avons vu, de plus en plus régulièrement, des gestionnaires d’établissements refuser les notes d’auteurs. De nombreux et nombreuses artistes ont ainsi rencontré de grandes difficultés à se faire rémunérer… Difficultés qui s’évaporaient comme par magie dès lors qu’ils s’équipaient d’un numéro de SIRET et présentaient une facture en bonne et due forme. Ajoutons que cela permet également de pouvoir imposer des pénalités de retard aux mauvais payeurs. Tout cela est possible dans le cadre du régime artistes-auteurs et autrices !
À cela, il faut ajouter que depuis le 1er janvier 2020, il nous est obligatoire de passer par la plateforme Chorus pro pour tout règlement émanant d’une structure publique. Or, sans numéro de SIRET, cela est tout à fait impossible.

Enfin, nous profitons de cette mise au point pour balayer quelques idées fausses, et autres confusions qui continuent malheureusement de circuler.
– Non, un numéro de SIRET ne transforme pas en auto-entrepreneur·se. Il existe un SIRET dédié pour les artistes-auteurs et autrices, et des codes APE correspondant aux métiers de la création. Liés à notre régime de sécurité sociale, ces codes permettent justement de bien nous identifier.

– Non, un numéro de SIRET ne nécessite aucun changement en matière de fiscalité. Il est tout à fait possible d’avoir un numéro de SIRET, de continuer d’être précompté·e et de déclarer en TS. Ce numéro nous permet simplement de pouvoir facturer quand cela est nécessaire.

– Non, un numéro de SIRET artistes-auteurs et autrices n’est pas incompatible avec d’autres métiers, y compris l’enseignement.

– Non, une déclaration sous le régime du micro-BNC ne nécessite pas de faire appel aux services d’un comptable. Il est simplement important de bien conserver ses factures, qui peuvent être éditées rapidement et simplement à l’aide d’un document préétabli.

– Non, le Traitements et Salaires n’est pas plus simple ou intéressant que le BNC d’un point de vue fiscal. C’est même le plus souvent l’inverse puisque le micro-BNC se voit appliquer un abattement fiscal de 34% sur les recettes annuelles. Cependant, les auteurs et autrices peuvent continuer de déclarer une partie de leurs revenus en TS dans les cadres légaux existants.

Monsieur Hardy, votre tribune a provoqué la colère de nombreux auteurs et nombreuses autrices. Elle atteste malheureusement d’un profond décalage qui perdure entre votre institution et les réalités qui font notre quotidien. La clarification fiscale devrait être un objectif partagé par toutes et tous, pourquoi persistez-vous à y faire obstacle ?
Alors qu’une mission fiscalité montée par le ministère de la Culture travaille depuis des mois afin de nous fournir enfin des règles du jeu sans ambiguïtés, nous vous demandons de mettre fin à cette obstruction.

Nous ne voulons plus d’insécurités. Nous sommes des professionnel·elles. Nous attendons de nos organisations d’être des moteurs de lumière et de clarté, pas de nous dépeindre comme des enfants réclamant de la « souplesse » là où existe le droit.

Avec nos respectueuses salutations,

 

La Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse

Pour télécharger le communiqué c’est ici : CP Charte

 

 

 

 

 

 

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